Je n’ai pas bien connu Jean-François Prat alors qu’il fût, avec Marie-Aline, un visiteur de la première heure de ma galerie au 2ème étage du 7 rue Debelleyme. L’escalier sous-éclairé en béton et l’ascenseur grillagé de cet immeuble industriel des années 40 passaient alors pour un passage obligé pour celles et ceux qui voulaient humer la création émergeante. Nous sommes au tout début des années 90.
Je n’ai pas bien connu Jean-François Prat mais sa renommée résonnait déjà ; une réputation si rayonnante qu’elle fait mentir l’expression « plus grand que nature » : celle de l’homme de droit réputé, respecté, redouté ; celui qui, à la tête du Cabinet Bredin-Prat, prendrait part dans toutes les grandes opérations boursières de son temps ; celle du collectionneur éclairé, éclectique et précoce dont la générosité humaine fut empreinte des valeurs de ses premiers combats en mai 68 aux côtés de Marie-Aline. Un collectionneur passionné, à l’image de sa passion pour la vie.
Cette passion sans cesse alimentée, approfondie, amplifiée, je l’ai comprise dans son étendue et dans sa dimension pérenne à la rencontre de Marie-Aline au printemps 2012. Elle était en route pour la Tefaf à Maastricht, l’un des rendez-vous incontournables du couple qui, tout en faisant preuve d’une constance exemplaire, ne s’est jamais laissé enfermé dans un goût, un style, une époque ni une mode.
Comme la création elle-même, la passion de Jean-François Prat pour l’art est de celles qui vivent au-delà du temps humain. Ses associés et collaborateurs l’ont compris en créant, en sa mémoire , le Prix Jean François Prat. Prix exceptionnel à plus d’un titre, tout comme l’homme qu’il était : exceptionnel car sa vocation est d’encourager la jeune création dans le champ de la peinture. Etonnamment, il existe peu de prix qui viennent récompenser le travail de jeunes artistes qui choisissent d’explorer cet art, né de la pulsion créative originelle de l’homme ; un art longtemps considéré comme agonisant, qui se révèle pourtant extraordinairement vigoureux.
Pour cette édition 2013, trois artistes – Guillaume Bresson, Mathieu Cherkit et Matt Saunders – succèdent aux artistes présélectionnés pour l’édition inaugurale : Farah Atassi, lauréate 2012, Gavin Perry et Lesley Vance. Trois artistes qui explorent les complexités multiples de la pratique picturale : la relation à l’espace, la construction de l’image, le rapport au réel, la gestuelle, la matière, la surface, la prise en considération de l’histoire.
Prix exceptionnel aussi, car le processus de discernement est participatif. Il ne dépend pas du seul fait d’un jury d’experts. Il engage activement les associés et les collaborateurs, appelle et encourage leur prise de position. C’est un prix qui ne revendique pas l’art comme le territoire exclusif de spécialistes, un prix qui affranchit son public, légitime son regard, milite pour la dissémination la plus large et plaide pour l’engagement.
Des valeurs à l’image de Jean-François Prat et du Droit qu’il a si brillamment pratiqué.
Je n’ai pas bien connu Jean-François Prat, mais en l’approchant de plus près par le biais du Prix qui porte son nom et dont le parrainage m’honore, je suis certaine qu’il s’y serait reconnu.
Jennifer Flay, née en Nouvelle-Zélande, est Directrice de la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC) depuis 2010, après avoir été nommée Directrice artistique dès 2003. Diplomée en histoire de l’art, elle a travaillé de 1982 à 1991 pour les galeries Catherine Issert, Daniel Templon et Ghislaine Hussenot. En 1991, elle a créé sa propre galerie qui représentait en France Claude Closky, John Currin, Michel François, Dominique Gonzalez-Foerster, Felix Gonzalez-Torres, Karen Kilmnik, Zoe Leonard, Christian Marclay et Xavier Veilhan, parmi d’autres. Elle est Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.