Non, il n’était pas raisonnable de me demander cette introduction à la deuxième édition du prix Jean-François Prat.
Jean-François ne s’amusait-il pas à moquer gentiment la décoration éclectique et trop teintée de régionalisme à son goût de mon bureau, si éloignée des tendances de l’art contemporain qui le passionnaient. Au surplus, comment évoquer JeanFrançois après les mots si justes et si brillants de Jean-Denis Bredin ? Au Palais, nul n’ignore que l’on ne succède pas sans dommage à un tel avocat…
En même temps, il n’est pas possible de ne pas tenter d’exprimer, même très maladroitement, ce que Jean-François a pu représenter pour celui qui a passé, dès le premier jour, toute sa carrière d’avocat à ses côtés, dans ce même cabinet qui lui doit tant.
Pour le collaborateur que je fus d’abord puis l’associé pendant des décennies, il fut toujours un modèle, même si sa modestie le conduisait à prétendre contre l’évidence qu’il avait besoin de l’autre car il s’estimait un piètre juriste.
Modèle d’avocat, à l ’intelligence d’analyse fulgurante, il était aussi un modèle d’homme. Fidélité d ’abord au cabinet dont le développement et la pérennité le préoccupaient avant tout, quitte à sacrifier son e go , donnant par exemple systématiquement priorité au plus jeune associé dans la résolution des conflits d’intérêt.
Car Jean-François était foncièrement bon, même s’il s’efforçait maladroitement de le dissimuler derrière un masque de sévérité plus ou moins bourrue, jeu peu convaincant qui ne trompait personne en vérité.
Grand professionnel, bon, amoureux passionné des arts, c’était l’honnête homme de notre époque sans l’esprit courtisan de celui des siècles passés.
Quant à l ’amoureux des arts, je pense ici paradoxalement au mélomane qui chercha ainsi avec constance, mais plus ou moins de bonheur, à me transmettre sa passion pour l’opéra, spécialement italien, qui touchait visiblement à ses racines les plus profondes
Que de batailles amicales entre nous à ces sujets ! Je me souviens de sa réaction sévère lorsque j’eus l’heur d’apprécier que le cinéma – qui pourtant était aussi l’une de ses passions – s’emparât de certains chefs-d’œuvre de l’art lyrique, sacrilège qui pour lui défiait le bon sens. Mais aussi quel bonheur me procura t-il lorsque à mes débuts au cabinet, après une audience d’arbitrage il m’entraîna dans une course éperdue dans les rues de Vienne pour tenter d’assister, debout au fond du parterre de l’Opéra, à la représentation de « la Clémence de Titus ». J’écoutais ensuite avec admiration son analyse critique, aussi brillante que sa démonstration antérieure devant les arbitres.
Car avec Jean-François, l’art n’était jamais loin de la plaidoirie.
Jean-François, nous nous étions promis de ne pas nous quitter… Pourquoi une seule fois, n’as-tu pas tenu parole, en ce sinistre mois de mars ?
Robert Saint-Esteben, Associé, dirige l’équipe concurrence de Bredin Prat. Régulièrement placé en tête des classements internationaux des avocats en droits de la concurrence français et communautaire, il a également acquis une vaste expérience dans le domaine des contentieux commerciaux et de l’arbitrage. Il est diplomé de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris ; de l’Ecole Nationales des Impôts et du Centre universitaire d’études communautaires, CEE.